dimanche 24 juin 2007

Interview pour internet

Interview réalisée en juin 2007
par Guy Jacquemelle pour le site internet
www.lesartistescontemporains.com


" C'est lors du Show Off 2006, à l'Espace Cardin à Paris, que nous avons découvert le travail de Julie Faure-Brac, une jeune artiste de 26 ans. Elle y exposait les Humanimaux, des créatures hybrides aux têtes de sangliers et aux corps humains.
En mai 2007, nous l'avons revue à la galerie Eric Mircher à Paris. Elle y présentait Monde Autre. On y retrouve un univers fascinant, mêlant le naturel et le surnaturel, le réel et l'imaginaire, la vie et la mort, la candeur et les phantasmes, le conscient et l'inconscient...
Le travail et l'univers de Julie Faure-Brac nous ont séduit. Nous avons souhaité vous la présenter."

1/ Quand et comment est né votre désir de devenir artiste ?
J’ai toujours pratiqué les arts plastiques depuis que je suis enfant, avec passion et enthousiasme. J’ai été encouragée par mes parents à poursuivre. J’ai passé un Bac littéraire arts plastiques puis ai suivi 5 années aux Beaux Arts de Reims. C’était comme une sorte d’évidence ; je ne m’imagine pas faire autre chose aujourd’hui.

2/ Quels ont alors été les moments décisifs de votre parcours artistique ?
Je réalise l’importance de l’impact sur mon travail des rencontres que j’ai pu faire à l’Ecole Supérieure d’Art et de Design de Reims. Avec François Quintin, directeur du FRAC Champagne Ardenne, avec les artistes professeurs ou avec le travail d’autres artistes.

3/ Quels sont le ou les artiste(s) qui vous ont le plus marqué lorsque vous étiez adolescente ou étudiante ?
J’ai d’abord été bouleversée par la lecture de Georges Bataille (aussi bien les romans que les essais) qui m’a accompagnée pendant une bonne partie de mes études à l’ESAD. Et puis il y a eu le visionnage de Cremaster 4 (sur l’île de Man) qui m’a hypnotisée. L’œuvre entière de Matthew Barney, ainsi que celle de Kiki Smith, Jérôme Bosch et Goya m’inspirent beaucoup.

4/ Votre travail comprend à la fois  des vidéos, des sculptures et des eaux fortes… Comment alliez vous ces différents modes d’expression  et que vous apporte chacun d’eux ?
J’allie ces différents médiums en construisant un univers personnel que j’appelle Monde Autre où tous les éléments se répondent : que l’on soit face à une petite gravure ou devant une installation en 3D, on reconnaît toujours des éléments communs (matières, personnages, environnements, symboles…) qui forment une sorte de toile, de réseau reliant chaque pièce. Le choix du médium se fait après l’imagination d’un projet, d’un phantasme. Il se fait en fonction de ce qu’apporte chaque médium : La vidéo est le moyen d’explorer les environnements qui me nourrissent, comme la forêt. C’est le seul médium que j’utilise qui m’apporte la couleur, le mouvement, la notion de temps et de répétition.
Dans la gravure ou le dessin je me projette dans un imaginaire où il n’y a plus de soucis de réalisme : les contraires s’annulent, le phantasme a tous les droits. Dans les wall drawings, j’aime l’idée que le spectateur peut se projeter dans l’espace du dessin et pénétrer le monde imaginaire dessiné. C’est le même sentiment dans les installations de sculptures : je veux engager le spectateur dans l’œuvre et le faire expérimenter l’espace d’exposition.

5/ En 2005 vous avez présenté les humanimaux à la galerie Eric Mircher à Paris . Comment est née l’idée  de ces créatures hybrides aux têtes de sangliers et aux corps humains ?
J’ai d’abord souhaité créer un monde sauvage, dans la nature, sans civilisation. J’étais fascinée par les sangliers, j’en ai vu plusieurs fois en forêt et en ai imaginé beaucoup. J’ai effectué une personnification de ces animaux en créant des personnages hybrides : ce sont des sortes de chamans, d’esprits, de sorciers, des demis-dieux, pour équilibrer le monde des humains. Ce sont des psychopompes, ils facilitent le passage entre le monde des humains et un au-delà.

6/ Les humanimaux sont-ils une évocation d’où nous venons ou une projection de ce que nous devenons ?
Un peu des deux : ils représentent à la fois la sagesse et la sauvagerie : par leur attitude tranquille, ils paraissent sereins, sages, observateurs ; mais ensuite on les voit boire le lait, résultat de la dépouille des humains qui se liquéfient. Ils viennent recycler les restes de nos déchirements. Ils nous rappellent notre nature animal et font de nous, pauvres bêtes, des hommes.

7/ Votre univers est peuplé d’êtres hybrides mi hommes-mi animaux. Certains meurent, d’autres renaissent. Que représente pour vous ce cycle ininterrompu de la vie ?
La notion de cycle, de boucle, est constante dans mon travail. Il y a de nombreuses images de mouvements circulaires, infinis, comme ces deux petites barques qui se poursuivent éternellement sur un fleuve « boucle » sans source ni embouchure.
Des personnages meurent ou semblent morts mais il y a toujours une idée de renaissance, de renouveau sous une autre forme. Par exemple j’aime cette légende chez les Esquimaux qui dit que l’âme sort par la bouche du dormeur pour voyager ; elle se matérialise sous forme d’insecte. Dans le dessin Le dormeur du val le dormeur a un petit trou prêt de la bouche d’où s’échappe une mouche. Ce genre de petit détail est essentiel pour moi. Et puis dans l’histoire des Humanimaux, les hommes morts se liquéfient en lait et sont recyclés par les humanimaux qui viennent les laper. Ainsi tout est en boucle…

8/ Votre travail associe le naturel et le surnaturel, le réel et l'imaginaire, la vie et la mort, la candeur et les phantasmes, le conscient et l’inconscient.  Vous semblez fascinée par  les contraires ? 
Il me semble que toutes ces notions se côtoient dans mon travail sans s’opposer forcément. J’aime jouer avec les antagonismes en brouillant les frontières. Je cherche à mettre en doute l’identification de chaque notion, à troubler le cours normal des choses.

9/ Lors de votre dernière exposition Monde Autre à la Galerie Eric Mircher à Paris en mai 2007, vous avez présenté les tarés une fresque qui a impressionné les visiteurs. Pouvez évoquer la création de ces Tarés et ce que cette fresque représente pour vous ?
Il y a un double sens dans le titre qui m’amuse : ces 10 personnages alignés exposent tous un handicap, une tare (un membre beaucoup trop grand, une pilosité surdéveloppée…) si surnaturelle qu’il ne peut s’agir que d’une malédiction, d’un mauvais sort au sens mythologique. Mais au premier regard, ces tarés sont bien des sortes d’idiots qui ont un grain de folie. C’est une photo de famille ironique et grotesque, une galerie de monstres, de « freaks ».

10/ En attendant...  évoque les 2 personnages de Beckett, nus , auprès d’un arbre squelettique dans un univers apocalyptique . Que représente pour vous Beckett et sa pièce en attendant Godot ? Pouvez vous évoquer la genèse de ce tableau ?
C’est en voyant une photographie d’un champ de bataille de Verdun que l’idée de ce dessin m’est venue. Elle montre deux soldats au pied d’un arbre étêté au milieu d’un champ de ruine et de cadavres. La configuration de la photo m’a rappelée le Godot de Beckett. J’y ai vu des points communs, la même absurdité de la situation, la même solitude, le même désarroi. Toutes les réflexions que comprend En attendant Godot, l’attente vaine, la misère de l’homme sans dieu, le cycle ininterrompu des choses, l’intemporalité, sont des thèmes qui me questionnent. Dans beaucoup de mes dessins les personnages semblent attendre quelque chose de mystérieux, en quête de quelque chose, sans savoir vraiment quoi ni où aller.

11/ Vous aimez  citer cette phrase de Deleuze dans sa Présentation de Sacher-Masoch : « Il ne s'agit pas de croire le monde parfait, mais au contraire de « s'attacher des ailes » ; Pouvez vous nous en dire plus sur cette citation ?
« Il ne s’agit pas de croire le monde parfait mais au contraire de « s’attacher des ailes » et de fuir ce monde dans le rêve. Il ne s’agit pas de nier le monde ou de le détruire mais pas d’avantage de l’idéaliser. Il s’agit de le dénier, de le suspendre en le déniant, pour s’ouvrir à un idéal lui même suspendu dans le phantasme. »
Cette citation est pour moi une vision poétique sur le monde ; cela ressemble à ma propre quête. Je ne définie pas mon regard sur le monde comme optimiste ou pessimiste. Je cherche mon idéal ailleurs, dans la création. J’essaie d’éduquer ma conscience à voyager librement vers l’imagination, les phantasmes.

12/ Vous êtes originaire de Charleville-Mezieres, la ville où naquit également Rimbaud . Que représente pour vous  le poète d’une saison en enfer et du Bateau Ivre ?
Rimbaud était constamment en fuite, en quête d’un ailleurs. C’était aussi un marcheur fou, « l’homme aux semelles de vent ». Les notions de fugue et de marche me questionnent et m’attirent. Son œuvre me fascine ; j’aime la folie, la colère, l’ironie, la tendresse qui s’en dégage.

13/ Quels sont vos projets ?
J’ai entamé depuis le début de l’année 2007 un projet assez conséquent ; il s’agit d’une installation d’un dessin animé comportemental. Le projet se nomme Incantations : l’animation mettra en scène trois personnages rentrant en transe progressivement grâce à leurs chants et leurs danses incantatoires. C’est le spectateur, face à la projection de l’animation qui agira directement mais involontairement sur le comportement des personnages.
J’ai travaillé avec des danseurs professionnels, notamment Rachid Ouramdane, et amateurs pour réaliser l’animation des mouvements des personnages.
J’ai bénéficié de l’aide du CNC (DICREAM) et de la DRAC Champagne Ardenne pour réaliser ce projet. Il est en cours de réalisation et verra le jour début 2008 je l’espère.