jeudi 3 janvier 2008

Texte d'Hervé Levy


L’Autre côté
À la découverte du bestiaire fantasmagorique de Julie Faure-Brac… Dessins, eaux-fortes, sculptures ou vidéos, les œuvres de l’artiste venue de Charleville-Mézières, sont en effet toujours placées sous le signe de l’étrangeté : entre éros et thanatos, entre hymne à la vie et fascination pour la douleur, partons à la rencontre d’une œuvre singulière.

Très tôt, Julie Faure-Brac (née en 1981) a découvert les textes de Sacher-Masoch, de Sade et (surtout) de Georges Bataille… et l’on pense alors, à la vision de certaines de ses créations, à cette phrase de l’auteur de Histoire de l’œil : « toute la mise en œuvre de l’érotisme a pour fin d’atteindre l’être au plus intime, au point où le cœur manque ». Cette “définition”, tirée de L’Érotisme (Éditions de Minuit, 1957) pourrait servir de fil d’Ariane dans le travail d’une artiste qui nous entraîne dans un univers singulier, onirique et hybride. Et dans ce Monde Autre (pour reprendre le titre du catalogue monographique qui lui a été récemment consacré) que trouve-t-on ? Des dessins étranges où l’on sent la marque inquiétante de Goya et les réminiscences de Kiki Smith… et l’on ne peut s’empêcher d’évoquer aussi Alfred Kubin (1877-1959), son roman Die andere Seite (L’autre Côté ; publié en français chez José Corti) et ses dessins marqués du sceau du cauchemar et du surnaturel. Julie Faure-Brac, elle aussi, se glisse dans les failles de la réalité et, dans son cabinet du bizarre, on croise des êtres mi-hommes, mi sangliers, des personnages nus au pied d’un arbre mort (comment ne pas voir leur ressemblance avec Vladimir et Estragon dans En attendant Godot ?) d’où coule un liquide aux allures séminales. Ils sont plantés en plein cœur d’une forêt qui semble avoir été décimée par la mitraille. Il y a aussi des mangeurs de branches se nourrissant de la sève d’un arbre et recrachant par leur sexe flaccide une autre sève ou d’étranges êtres volants, nus comme des poulets plumés expectorant des cailloux par leur bouche déformée et douloureuse… sans oublier quelques réalisations à l’encre de Chine marquées par la fascination du poil à laquelle n’échappent pas les magnifiques Tarés, étonnante fresque faite de Freaks qui semble concentrer les obsessions de Julie Faure-Brac : sexes, seins, langues ou membres masculins élastiques, allongés et énormes, projection de fluides corporels indéterminés, pilosité galopante ou encore hommes à tête d’animaux. On pense alors évidemment aux créatures étonnantes et fabuleuses de la mythologique antique qu’Ovide décrit avec tant d’art dans ses Métamorphoses, gorgones, chimères ou griffons… Toute cette humanité hybride, présentée là dans des postures où un certain hiératisme le dispute à une infinie tristesse, semble nous signifier que nous, pauvres humains, sommes dans un état instable entre le naturel et le surnaturel… et que seul le rêve, sans doute, peut nous permettre de supporter notre condition finie. Le salut est alors à trouver dans cet “entre-deux” aux accents parfois surréalistes où les pulsions élémentaires se manifestent, où les corps se distordent et où la vie jaillit et donne naissance à la vie dans un mouvement perpétuel dont le moteur pourrait être le fluide sexuel. En somme, l’homme, élément constitutif du cosmos, fait croître ce “tout” en tentant de se fondre en lui : tel est le sens d’un dessin comme Le Dormeur du Val (2006 ; une des rares réalisations de Julie Faure-Brac où règne la sérénité et l’apaisement) où la chair se mêle intimement à la nature… au titre inspiré de Rimbaud, lui aussi natif, faut-il le rappeler, de Charleville-Mézières : « Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme / Sourirait un enfant malade, il fait un somme / Nature, berce-le chaudement : il a froid / Les parfums ne font pas frissonner sa narine / Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine / Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit ». On retrouve cette vision du monde dans ses sculptures (gigantesque Humanimaux à l’échelle 1:1) et ses vidéos : l’artiste y explore aussi le cycle de la vie et de la fertilité… Les titres de certaines de ses œuvres (Lape moi, La grosse B. ou Le Pondeur d’obus) ont de très claires résonances sexuelles. Parfois on sent l’accomplissement calme, la fusion entre les êtres et les éléments… mais, plus souvent c’est la souffrance, la douleur et le déséquilibre qui dominent. Finalement, on ne peut que revenir à Bataille et sa définition de l’érotisme « l’approbation de la vie jusque dans la mort ».



Hervé Lévy


Texte publié dans le Calendart # 15